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toutes ses forces, elle nous maîtrise ouvertement. Le moyen de lui résister ! Dans l’univers, tout cède à sa puissance. Comment nos cœurs pourroient-ils être en sureté ? La réflexion n’a pas le temps de les mettre en défense : mais s’il y a plus de plaisir à être vaincu, qu’à être vainqueur, une telle défaite vaut une victoire ; les sens triomphent dans les bras de la volupté.

Au reste les voluptueux, ou grossiers, ou délicats, conduisent au même but, les uns plus vite, les autres plus lentement. Le beau Narcisse n’a point d’autre maîtresse que lui ; il meurt d’amour ; dans les vains efforts qu’il fait pour, & sur lui-même. Sapho voudroit être ce qu’elle n’est pas ; des désirs, qu’elle ne peut satisfaire, la rendent ingénieuse. Que n’imagine pas cette fille amoureuse de son sexe, pour en changer, autant qu’elle le peut ? Pour être homme, pour en goûter les plaisirs, elle ment l’homme, comme parle Martial, elle sait son personnage, ou plutôt elle le joue. Suzon, dont on trouve l’histoire dans le livre le plus dangereux qui ait jamais paru, si le danger est proportionné au puissant empire de la lecture sur l’imagination, Suzon, dis-je, désire qu’on lui fasse ce qu’elle a vu faire. Avec quelle amoureuse curiosité, elle regarde les mystères d’amour ! Plus elle craint de troubler les prêtres qui les célèbrent, plus elle en est elle-même troublée : mais ce trouble, cette