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de philtre naturel, qui paroît tenir du miracle ? Par quel prodige laisse-t-il passer l’âme de l’amant, pour recevoir en échange l’âme de l’amante ? Par quelle incroyable vertu, ces âmes, après avoir mollement erré sur des lèvres chéries, aiment-elles à couler de bouche en bouche, & de veine en veine jusqu’au fond du cœur ? Y chercheroient-elles la source du bonheur, dans des sentimens plus vifs ! Quelle est cette divine, mais trop courte métempsycose de nos âmes & de nos plaisirs ?

Charmes magiques, amans de la volupté, mystères cachés de Cypris, soyez toujours inconnus, aux amans vulgaires ; mais pénétrant tous mes sens de votre auguste présence, si je ne puis imiter les grâces voluptueusement négligées de Chaulieu, si je ne puis prendre le sublime essor de Pindare, ou de Milton, donnez-moi la magnificence du pinceau Anglois, pour peindre Cythère, comme il nous a tracé les délicieux jardins d’Éden.

Qui que vous soyez enfin, tendres sectateurs de la volupté, sublimes ou naïfs interprètes de la nature & des sentimens du cœur, Racine, La Fontaine, Rousseau, St. Evremond, Montagne, mes deux philosophes, Catulle, Anacréon, Tibulle, Pétrone, Ovide, Montesquieu ; vous-mêmes, auteurs zélés, qui pour faire goûter votre morale, n’avez pas dédaigné de l’assaisonner d’une pointe de volupté qui la tue ;