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de votre auguste présence, saites que je puisse dignement peindre celui que vous excitez, & pour lequel tous les autres semblent avoir été faits. On le reconnoît à son délicieux & puissant empire : il interdit l’usage de la parole, de la vue, de l’ouïe, de la pensée, qui fait place au sentiment le plus vif : il anéantit l’âme avec tous ses sens ; il suspend toutes les fonctions de notre économie ; il tient, pour ainsi dire, les rênes de l’homme entier, au gré de ces joies souveraines & respectables, de ce fécond silence de la nature, qu’aucun mortel ne devroit troubler, sans être écrasé par la foudre : telle est en un mot sa puisîance immortelle, que la raison, cette vaine & fière déesse, rangée sous son despotisme, n’est comme les autres sens, que l’heureuse esclave de ses plaisirs.

À ces traits qui peut méconnoître l’amour ? Qui peut ne pas rendre hommage à cette importante action de la nature, par laquelle tout croît, multiplie & se renouvelle sans cesse, & dont toutes les autres ne semblent être que des distractions : distractions nécessaires à la vérité, autorisées & même conseillées par l’amour, à condition qu’on n’en ait point en célébrant ses mystères. Ô Vénus ! combien peu sentent le prix de tes faveurs ! Combien peu se respectent eux-mêmes dans les bras de la volupté ! Oui, ceux qui sont alors capables de la moindre distraction, ceux à qui tes plaisirs ne