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qu’elle m’avoit inspiré. Tant d’amour avoit fait couler quelques larmes de ses yeux, qui en étoient plus beaux. Dans son amoureuse mélancolie, son cœur n’avoit pu contenir tout le torrent de tendresse dont il sembloit inondé. Mais enfin les sens se réveillant peu-à-peu, rentrèrent dans leurs droits, & nos ébats devenus plus vifs, sans en être moins tendres : non, reprit Thémire, non, tu ne connois point encore tous mes transports ; je voudrois que toute mon âme pût passer dans la tienne.

J’avois déjà fait deux sacrifices. Thémire enflammée croyoit toucher à chaque instant l’heureux terme de ses plaisirs, mais soit que l’amour, comme retenu par la tendresse, fût encore fixé ou concentré au fond de son cœur, soit qu’un tempérament trop irrité ne repondît pas à l’ardeur de ses désirs, je la vis, désespérée, témoigner, en frémissant, qu’elle ne pouvoit supporter tant d’agitation ; son transport s’éleva jusqu’à la fureur. Quoi ! disoit-elle, le sort de Tantale m’est réservé dans le sein des plaisirs ?

Le moyen de ne pas mettre tout en œuvre pour calmer ce qu’on aime ! Comment refuser des plaisirs qui s’augmentent partagés !

Un troisième sacrifice appaisa peu-à-peu cette espèce de colère des sens mal satisfaits. Le plaisir ne fut plus renvoyé : des mouvemens plus doux l’accueillirent & rappellèrent la molle volupté.