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dans le plus grand travail ; une douce mélancolie ajoute au plaiſir je ne ſais quoi de ſinguliérement piquant, qui l’augmente & met ces heureux amans dans la ſituation la plus rare & la plus intéreſſante. Amour, c’eſt de ces amans que tu devois dire,


Vîte, vîte, qu’on les deſſine
Pour mon cabinet de Paphos.

Ils t’en auroient donné le temps, je les vois mollement s’appeſantir & ſe livrer au repos qu’une douce fatigue leur procure ; ils s’endorment ; mais la nature, en prenant ſes droits ſur le corps, les exerce en même temps ſur l’imagination ; elle veille preſque toujours ; les ſonges ſont, pour ainſi dire, à ſa ſolde ; c’eſt par eux qu’elle fait ſentir le plaiſir aux amans, dans le ſein même du ſommeil. Ces fideles rapporteurs des idées de la veille, ces parfaits comédiens qui nous jouent ſans ceſſe nos paſſions dans nous-mêmes, oublieroient-ils leur rôle, quand le théatre eſt dreſſé, que la toile eſt levée, & que de belles décorations les invitent à repréſenter ? Les criminels dans les fers font des rêves cruels, le mondain n’eſt occupé que de bals & de ſpectacles ; le trompeur eſt artificieux, comme le lâche eſt poltron en dormant : l’innocence n’a jamais rêvé rien de terrible. Voyez le tendre enfant dans ſon berceau, ſon viſage eſt uni comme