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de plaiſir : Iſménias croit que ce ſont les femmes. Les autres ſont toujours plus heureux que nous. La diſpute duroit encore, lorſqu’après avoir couru dans la nuit plus avant qu’Iſménias n’eût voulu, il goûta enfin, pour la première fois, cette volupté libre, commode, & en quelque ſorte univerſelle, après laquelle il ſoupiroit depuis long-temps. Il s’en faut de peu que nos amans ne ſoient vraiment unis : ils meurent tour-à-tour & plus d’une fois, dans les bras l’un de l’autre : mais plus on ſent le plaiſir, plus on déſire vivement celui qu’on n’a pas.

Iſmene éperdue ſe connoît à peine : juſqu’ici elle n’avoit voulu que s’amuſer, dirai-je, à l’ombre de la volupté ? Jeux d’enfans aujourd’hui ! Tous les feux de l’amour n’ont rien de trop pour elle ; que dis-je ! ils ſont trop foibles, ſéparés ; pour les augmenter, elle veut les unir, quoiqu’il en puiſſe arriver. « Jamais, dit-elle en modérant ſes tranſports, je ne ſerai femme de la façon d’un autre amant : mais qu’il faut aimer pour conſentir à l’être de cette fabrique-là » ! Iſménias ravi, tout en la raſſurant, la ménageoit ſi ſingulierement, s’avançoit peu-à-peu ſi doucement dans la carriere, & prépara enfin ſi bien ſa victoire, qu’Iſmene fit un cri… Amour, tu te joues des projets de nos foibles cœurs ! Mais ſous quel autre empire ſeroient-ils plus heureux ?