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l’amour conduit, s’il ſe peut, par la prudence, ſoit une ſource de mépris, ah ! belle Iſmene ! qu’une femme qui ſait aimer eſt un être rare & reſpectable ! On devroit lui dreſſer des autels ».

Iſménias ayant ainſi raſſuré ſa maîtreſſe inquiete, nos tendres amans partent enfin ; ils voudroient déjà être au bout du monde. Plus d’allarmes, la joie ſuccede aux craintes, & le doux plaiſir à la joie. Déjà Iſmene eſt enflammée par mille diſcours tendres & par mille baiſers de feu. On permet à Iſménias ces anciennes privautés, ces équivalens d’amour qui n’en ſont point, & dont auſſi le fripon ſe contentoit à peine. Les chemins diſparoiſſent ; les poſtes ſe font comme par des chevaux aîlés ; quelquefois on ne va que trop vite, on n’arrive que trop promptement ; ſi la prudente volupté tranſporte moins nos cœurs, elle les amuſe davantage. « Ton plaiſir, dit Iſménias, n’eſt que l’ombre de ceux que peuvent goûter deux cœurs parfaitement unis ».

Les amans en reviennent toujours là : ont-ils tort ? C’eſt le but de l’amour ; il ne bat que d’une aile lorſqu’il eſt ſeul ; en compagnie il n’en a point ; tête-à-tête il en a mille.

Iſmène n’eut pas de peine à détourner la converſation ſur le plaiſir des hommes & des femmes. Ce ſont les hommes, à ſon avis, qui ont le plus