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on obéit à l’amour, en déſobéiſſant à l’amante. Le devoir eſt tout en amour comme en guerre, & le péril n’eſt rien. Plus la démarche eſt téméraire, plus Iſmene ſera ſenſible… Ah ! que l’amour donne de courage ! Ah ! que cette preuve de tendreſſe lui ſera chere, & qu’elle en ſaura un jour bon gré à ſon amant !

Iſménias, prêt d’arriver chez Iſmene, la croit déjà partie ſur un faux rapport : il ne comprend pas comment il a pu la manquer ſur la route ; il s’agite, il délibere, quel parti prendre ? Hélas ! Eſt-il en état d’en prendre un ? il retourne ſur ſes pas : on le prendroit pour un inſenſé : égaré, ſe connoiſſant à peine, il court nuit & jour, il ne rencontre point Iſmene, il tremble qu’elle n’arrive la premiere au rendez-vous. Ô dieu ! Ô amour ! quelles euſſent été ſes inquiétudes de n’y point trouver ſon amant.

Mieux inſtruit enſuite au moment qu’il s’en flatte le moins, quelle heureuſe révolution ! quelle brillante ſérénité relève un front abattu ! Comme il remercie l’amour d’avoir pris pitié de ſon tourment !

Il baiſe cent fois le billet d’Iſmene, il l’arroſe de ſes larmes, il revole ſur ſes premiers pas. Rien ne fatigue, rien ne coûte quand on aime : la diſtance des lieux eſt bientôt franchie par les ailes de l’amour.