Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome troisième, 1796.djvu/219

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour contempler des charmes ſecrets qu’elle ignoroit.

Mais elle découvre à ſon tour combien Daphnis lui reſſemble. Qu’elle lui rend bien ſa ſurpriſe ! Frappée d’une ſi prodigieuſe différence, toute émue elle y porte la main en tremblant ; elle le careſſe, elle en ignore l’uſage, elle ne comprend pas pourquoi ſon cœur bat ſi vite, elle ne ſe connoit preſque plus : mais enfin, lorſque revenue à elle-même, un trait de lumière a paſſé dans ſon cœur, elle le regarde comme un monſtre, la choſe lui paroît abſolument impoſſible, elle ne conçoit pas encore, la pauvre Agnès, tout ce que peut l’amour.

L’idée du crime n’a point été attachée à toutes ces recherches amoureuſes ; elles ſont faites par de jeunes cœurs qui ont beſoin d’aimer, avec une pureté d’âme que jamais n’empoiſonna le repentir. Heureux enfans ! qui ne voudroit l’être comme vous ? Bientôt vos jeux ne ſeront plus les mêmes, mais ils n’en ſeront pas moins innocens : le plaiſir n’habita jamais des cœurs impurs & corrompus. Quel ſort plus digne d’envie ! vous ignorez ce que vous êtes l’un à l’autre ; cette douce habitude de ſe voir ſans ceſſe, la voix du ſang ne déconcerte point l’amour ; il n’en vole que plus vite auprès de vous, pour ſerrer vos liens & vous rendre plus fortunés. Ah ! puiſſiez-vous vivre toujours enſemble & toujours ignorés dans cette paiſible ſolitude, ſans con-