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j’accorde que ces malheureux ne sentent pas pour la plupart sur le champ l’énormité de leur action. La Boulymie, par exemple, ou la faim canine peut éteindre tout sentiment ; c’est une manie d’estomac qu’on est forcé de satisfaire. Mais revenues à elles-mêmes, & comme désenivrées, quels remords pour ces femmes qui se rappellent le meurtre qu’elles ont commis dans ce qu’elles avoient de plus cher ! quelle punition d’un mal involontaire, auquel elles n’ont pu résister, dont elles n’ont eu aucune conscience ! cependant ce n’est point assez apparemment pour les juges. Parmi les femmes dont je parle, l’une fut rouée, & brûlée, l’autre enterrée vive. Je sens tout ce que demande l’intérêt de la societé. Mais il seroit sans doute à souhaiter qu’il n’y eût pour juges, que d’excellens medecins. Eux seuls pourroient distinguer le criminel innocent, du coupable. Si la raison est esclave d’un sens dépravé, ou en fureur, comment peut-elle le gouverner ?

Mais si le crime porte avec soi sa propre punition plus ou moins cruelle ; si la plus longue & la plus barbare habitude ne peut tout-à-fait arracher le repentir des cœurs les plus inhumains ; s’ils sont déchirés par la mémoire même de leurs actions, pourquoi effrayer l’imagination des esprits foibles par un enfer, par des spectres & des précipices de