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gressent pour la première fois, & que la force de l’exemple n’a point endurcis. Il en est de même des animaux, comme des hommes ; les uns & les autres peuvent être plus ou moins féroces par tempérament, & ils le deviennent encore plus avec ceux qui le sont. Mais un animal doux, pacifique, qui vit avec d’autres animaux semblables, & d’alimens doux, sera ennemi du sang & du carnage ; il rougira intérieurement de l’avoir versé ; avec cette différence peut-être, que comme chez eux tout est immolé aux besoins, aux plaisirs, & aux commodités de la vie, dont ils jouissent plus que nous, leurs remords ne semblent pas devoir être si vifs que les nôtres, parce que nous ne sommes par dans la même nécessité qu’eux. La coutume émousse, & peut-être étouffe les remords, comme les plaisirs.

Mais je veux pour un moment supposer que je me trompe, & qu’il n’est pas juste que presque tout l’univers ait tort à ce sujet, tandis que j’aurois seul raison ; j’accorde que les animaux, même les plus excellens, ne connoissent pas la distinction du bien & du mal moral, qu’ils n’ont aucune mémoire des attentions qu’on a eues pour eux, du bien qu’on leur a fait, aucun sentiment de leurs propres vertus ; que ce lion, par exemple, dont j’ai parlé après tant d’autres, ne se souvienne pas de n’avoir pas voulu ravir la vie à cet homme qui fut livré