Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome troisième, 1796.djvu/161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une structure semblable à la nôtre, qui fait les mêmes opérations, qui a les mêmes passions, les mêmes douleurs, les mêmes plaisirs, plus ou moins vifs, suivant l’empire de l’imagination & la délicatesse des nerfs ; un tel être enfin ne montre-t-il pas clairement qu’il sent ses torts & les nôtres ; qu’il connoit le bien & le mal, & en un mot a conscience de ce qu’il fait ? Son âme qui marque comme la nôtre, les mêmes joies, les mêmes mortifications, les mêmes déconcertemens, seroit-elle sans aucune répugnance, à la vue de son semblable déchiré, ou après l’avoir lui-même impitoyablement mis en pièces ? Cela posé, le don précieux dont il s’agit, n’auroit point été refusé aux animaux, car puisqu’ils nous offrent des signes évidens de leur repentir, comme de leur intelligence, qu’y a-t-il d’absurde à penser que des êtres, des machines presque aussi parfaites que nous, soient comme nous faites pour penser, & pour sentir la nature ?

Qu’on ne m’objecte point que les animaux sont pour la plupart des êtres féroces, qui ne sont pas capables de sentir les maux qu’ils font ; car tous les hommes distinguent-ils mieux les vices & les vertus ? Il est dans notre espèce de la férocité, comme dans la leur. Les hommes qui sont dans la barbare habitude d’enfreindre la loi naturelle, n’en sont pas si tourmentés, que ceux qui la trans-