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distinction aux sourds, aux aveugles nés, aux imbécilles, aux fous, aux hommes sauvages, ou qui ont été élevés dans les bois avec les bêtes ; à ceux dont l’affection hypocondriaque a perdu l’imagination, enfin à toutes ces bêtes à figure humaine, qui ne montrent que l’instinct le plus grossier ? Non, tous ces hommes de corps, & non d’esprit, ne méritent pas une classe particulière.

Nous n’avons pas dessein de nous dissimuler les objections qu’on peut faire en faveur de la distinction primitive de l’homme & des animaux, contre notre sentiment. Il y a, dit-on, dans l’homme une loi naturelle, une connoissance du bien & du mal, qui n’a pas été gravée dans le cœur des animaux.

Mais cette objection, ou plutôt cette assertion est-elle fondée sur l’expérience, sans laquelle un philosophe peut tout rejetter ? En avons-nous quelqu’une qui nous convainque que l’homme seul a été éclairé d’un raion refusé à tous les autres animaux ? S’il n’y en a point, nous ne pouvons pas plus connoître par elle ce qui se passe dans eux, & même dans les hommes, que ne pas sentir ce qui affecte l’intérieur de notre être. Nous savons que nous pensons, & que nous avons des remords ; un sentiment intime ne nous force que trop d’en convenir ; mais pour juger des remords d’autrui, ce sentiment qui est dans nous est insuffisant : c’est