Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome troisième, 1796.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quelle utilité en effet de faire un gros livre, pour prouver une doctrine qui étoit érigée en axiome, il y a trois mille ans ?

Suivant les principes que nous avons posés & que nous croyons vrais, celui qui a le plus d’imagination doit être regardé comme ayant le plus d’esprit ou de génie, car tous ces mots sont synonymes ; & encore une fois c’est par un abus honteux qu’on croit dire des choses différentes, lorsqu’on ne dit que différens mots ou différens sons, auxquels on n’a attaché aucune idée ou distinction réelle.

La plus belle, la plus grande, ou la plus forte imagination, est donc la plus propre aux sciences, comme aux arts. Je ne décide point s’il faut plus d’esprit pour exceller dans l’art des Aristotes, ou des Descartes, que dans celui des Euripides, ou des Sophocles ; & si la nature s’est mise en plus grands fraix, pour faire Newton, que pour former Corneille, (ce dont je doute fort ;) mais il est certain que c’est la seule imagination diversement appliquée, qui a fait leur différent triomphe & leur gloire immortelle.

Si quelqu’un passe pour avoir peu de jugement, avec beaucoup d’imagination ; cela veut dire que l’imagination trop abandonnée à elle-même, presque toujours comme occupée à se regarder dans le miroir de ses sensations, n’a pas assez contracté