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lesquelles il est évident que celles dont les signes sont moins simples & moins sensibles, sont plus difficiles à apprendre que les autres ; en ce qu’elles demandent plus de génie pour embrasser & combiner cette immense quantité de mots, par lesquels les sciences dont je parle expriment les vérités de leur ressort : tandis que les sciences, qui s’annoncent par des chiffres, ou autres petits signes, s’apprennent facilement ; & c’est sans doute cette facilité qui a fait la fortune des calculs algébriques, plus encore que leur évidence.

Tout ce savoir dont le vent enfle le ballon du cerveau de nos pédans orgueilleux, n’est donc qu’un vaste amas de mots & de figures, qui forment dans la tête toutes les traces, par lesquelles nous distinguons & nous nous rapellons les objets. Toutes nos idées se réveillent, comme un jardinier qui connoîe les plantes, se souvient de toutes leurs phrases à leur aspect. Ces mots & ces figures qui sont désignées par eux, sont tellement liés ensemble dans le cerveau, qu’il est assez rare qu’on imagine une chose, sans le nom, ou le signe qui lui est attaché.

Je me sers toujours du mot imaginer, parce que je crois que tout s’imagine, & que toutes les parties de l’âme peuvent être justement réduites à la seule imagination, qui les forme toutes ; & qu’ainsi le jugement, le raisonnement, la mémoire