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de leurs transports ou de leurs besoins ? Car sans doute ceux que la nature a doués d’un sentiment plus exquis, ont eu aussi plus de facilité pour l’exprimer.

Voilà comme je conçois que les hommes ont employé leur sentiment, ou leur instinct, pour avoir de l’esprit, & enfin leur esprit, pour avoir des connoissances. Voilà par quels moyens, autant que je peux les saisir, on s’est rempli le cerveau des idées, pour la réception desquelles la nature l’avoit formé. On s’est aidé l’un par l’autre, & les plus petits commencemens s’agrandissant peu-à-peu, toutes les choses de l’univers ont été aussi facilement distinguées, qu’un cercle.

Comme une corde de violon, ou une touche de clavecin, frémit & rend un son, les cordes du cerveau, frappées par les rayons sonores, ont été excitées à rendre, ou à redire les mots qui les touchoient. Mais comme telle est la construction de ce viscère, que dès qu’une fois les yeux bien formés pour l’optique, ont reçu la peinture des objets, le cerveau ne peut pas ne pas voir leurs images & leurs différences : de même, lorsque les signes de ces différences ont été marqués, ou gravés dans le cerveau, l’âme en a nécessairement examiné les rapports ; examen qui lui étoit impossible, sans la découverte des signes, ou l’invention des langues. Dans ces temps, où l’Univers étoit