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des corps, dont ces mots sont les signes arbitraires.

Mais qui a parlé le premier ? Qui a été le premier précepteur du genre humain ? Qui a inventé les moyens de mettre à profit la docilité de notre organisation ? Je n’en sais rien ; le nom de ces heureux & premiers génies a été perdu dans la nuit des temps. Mais l’art est le fils de la nature ; elle a dû long-temps le précéder.

On doit croire que les hommes les mieux organisés, ceux pour qui la nature aura épuisé ses bienfaits, auront instruit les autres. Ils n’auront pu entendre un bruit nouveau, par exemple, éprouver de nouvelles sensations, être frappés de tous ces beaux objets divers qui forment le ravissant spectacle de la nature, sans se trouver dans le cas de ce sourd de Chartres, dont Fontenelle nous a le premier donné l’histoire, lorsqu’il entendit pour la première fois à quarante ans le bruit étonnant des cloches.

De-là seroit-il absurde de croire que ces premiers mortels essayèrent, à la manière de ce sourd, ou à celle des animaux & des muets (autre espèce d’animaux), d’exprimer leurs nouveaux sentimens, par des mouvemens dépendans de l’économie de leur imagination, & conséquemment ensuite par des sons spontanés propres à chaque animal ; expression naturelle de leur surprise, de leur joie,