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elles sont infinies, surtout aidées d’un grand art.

La même mécanique, qui ouvre le canal d’eustachi dans les sourds, ne pourroit-elle le déboucher dans les singes ? Une heureuse envie d’imiter la prononciation du maître, ne pourroit-elle mettre en liberté les organes de la parole, dans des animaux qui imitent tant d’autres signes, avec tant d’adresse & d’intelligence ? Non-seulement je défie qu’on me cite aucune expérience vraiment concluante, qui décide mon projet impossible & ridicule ; mais la similitude de la structure & des opérations du singe est telle, que je ne doute presque point, si on exerçoit parfaitement cet animal, qu’on ne vînt enfin à bout de lui apprendre à prononcer, & par conséquent à savoir une langue. Alors ce ne seroit plus ni un homme sauvage, ni un homme manqué : ce seroit un homme parfait, un petit homme de ville, avec autant d’étoffe ou de muscles que nous-mêmes, pour penser & profiter de son éducation.

Des animaux, à l’homme, la transition n’est pas violente ; les vrais philosophes en conviendront. Qu’étoit l’homme, avant l’invention des mots & la connoissance des langues ? Un animal de son espèce, qui avec beaucoup moins d’instinct naturel, que les autres, dont alors il ne se croyoit pas roi, n’étoit distingué du singe & des autres animaux, que