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veines avec un bruit qu’on entend : telles sont les deux causes réciproques de l’insomnie. Une seule frayeur dans les songes fait battre le cœur à coups redoublés, & nous arrache à la nécessité, ou à la douceur du repos, comme feroient une vive douleur, ou des besoins urgens. Enfin, comme la seule cessation des fonctions de l’âme procure le sommeil, il est, même pendant la veille (qui n’est alors qu’une demie veille) des sortes de petits sommeils d’âme très fréquens, des rêves à la Suisse, qui prouvent que l’âme n’attend pas toujours le corps pour dormir ; car si elle ne dort pas tout-à-fait, de combien peu s’en faut-il ! puisqu’il lui est impossible d’assigner un seul objet auquel elle ait prêté quelque attention, parmi cette foule inombrable d’idées confuses, qui, comme autant de nuages, remplissent, pour ainsi dire, l’atmosphère de notre cerveau.

L’opium a trop de rapport avec le sommeil qu’il procure, pour ne pas le placer ici. Ce remède enivre, ainsi que le vin, le café &c. chacun à sa manière, & suivant sa dose. Il rend l’homme heureux dans un état qui sembleroit devoir être le tombeau du sentiment, comme il est l’image de la mort. Quelle douce léthargie ! L’âme n’en voudroit jamais sortir. Elle étoit en proie aux plus grandes douleurs ; elle ne sent plus que le seul plaisir de ne plus souffrir, & de jouir de la plus charmante