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pour ainsi dire, dans un monde plus beau, où il goûte des plaisirs dignes des dieux. De toutes les attractions de la nature, la plus forte, du moins pour moi, comme pour vous, cher Haller, est celle de la philosophie. Quelle gloire plus belle, que d’être conduit à son temple par la raison & la sagesse ! Quelle conquête plus flateuse que de se soumettre tous les esprits !

Passons en revue tous les objets de ces plaisirs inconnus aux âmes vulgaires. De quelle beauté, de quelle étendue ne sont-ils pas ? Le temps, l’espace, l’infini, la terre, la mer, le firmament, tous les élemens, toutes les sciences, tous les arts, tout entre dans ce genre de volupté. Trop resserrée dans les bornes du monde, elle en imagine un million. La nature entière est son aliment, & l’imagination son triomphe. Entrons dans quelque détail.

Tantôt c’est la poësie ou la peinture ; tantôt c’est la musique ou l’architecture, le chant, la danse &c. qui font goûter aux connoisseurs des plaisirs ravissans. Voyez la Delbar (femme de Piron) dans une loge d’opéra ; pâle & rouge tour-à-tour, elle a la mesure avec Rebel, s’attendrit avec Iphigénie, entre en fureur avec Roland &c. Toutes les impressions de l’orchestre passent sur son visage, comme sur une toile. Ses yeux s’adoucissent, se pâment, rient, ou s’arment d’un courage guerrier.