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ÉPITRE

À MON ESPRIT.


EN vérité, mon esprit, c’est dommage que vous ayiez tant de défauts, car on dit que vous n’êtes pas sot ; c’est dommage que vous participiez à cette légèreté de style, qui dans le moins superficiel de vos ouvrages est portée au plus haut point : car autant elle est aimable, autant elle rend l’esprit peu conséquent. De là vient que vous raisonnez si mal : riche en imagination, on en convient, mais pauvre en jugement, & je ne doute point que quelque jour on ne vous montre en quel lieu de vos écrits il se fait désirer. Vous êtes trop vif, mon ami ; vous pensez comme vous écrivez, trop vite. Par quelle fatale sympathie, votre imagination va-t-elle aussi vîte que vos doigts ! qui pis est, cette partie phantastique absorbe toutes les autres, comme dans son tourbillon. Vous avez vos raisons, comme on voit, pour faire consister l’âme dans cette seule partie, puisque les autres vous manquent. Vous tranchez cependant du philosophe. Petit philosophe, en tout cas ; & vive Dieu ! comme Descartes vous traiteroit, s’il ressuscitoit, vous & la généreuse protection que vous vous êtes