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peut changer les heures en momens ; quelle est la nature de ces plaisirs de l’esprit, si différens des plaisirs vulgaires…… Mais la lecture de vos charmantes poësies m’en a trop pénétré moi-même, pour que je n’essaie pas de dire ce qu’elles m’ont inspiré. L’homme, considéré dans ce point de vue, n’a rien d’étranger à mon sujet.

La Volupté des sens, quelque aimable & chérie qu’elle soit, quelques éloges que lui ait donnés la plume apparemment aussi reconnoissante que délicate d’un jeune médecin françois, n’a qu’une seule jouïssance qui est son tombeau. Si le plaisir parfait ne la tue point sans retour, il lui faut un certain tems pour ressusciter. Que les ressources des plaisirs de l’esprit sont différentes ! plus on s’approche de la vérité, plus on la trouve charmante. Non seulement sa jouissance augmente les désirs ; mais on jouit ici, dès qu’on cherche à jouir. On jouit long-tems, & cependant plus vite que l’éclair ne parcourt. Faut-il s’étonner si la volupté de l’esprit est aussi supérieure à celle des sens, que l’esprit est au-dessus du corps ? L’esprit n’est-il pas le premier des sens, & comme le rendez-vous de toutes les sensations ? N’y aboutissent-elles pas toutes, comme autant de rayons, à un centre qui les produit ? Ne cherchons donc plus par quels invincibles charmes, un cœur que l’amour de la vérité enflamme, se trouve tout-à-coup transporté,