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pour les exciter dans leur indifférence léthargique, & leur montrer par-tout la voie du bonheur. Ô nature ! ô amour ! ô comble de vos bontés ! quels cœurs n’en seroient pas pénétrés ! quels bergers sûrs d’atteindre un but si desirable, seroient pressés de perdre des sensations, qu’ils ne seroient peut-être plus les maîtres de se procurer une seconde fois ! On n’est digne des saveurs de l’amour que par l’art de bien ménager ses plaisirs. Heureuses enfin les bergères pour qui l’amour a formé des amans aussi économes de ces biensaits, que tendres & reconnoissans ! Sans doute il se fait un plaisir de les éclairer lui-même du flambeau de la volupté.

Tels sont les hommages que j’ai cru pouvoir rendre à la volupté. La crainte de déplaire à un grand nombre de lecteurs ne m’a point retenu. Si la fortune dépend des hommes, & malheureusement de ceux même qui ont le plus de préjugés, le bonheur n’en dépend pas ; il a sa source dans la liberté de l’esprit.

En vain une cabale, que la moindre bluette met en feu, qui n’a d’autre plaisir que le plaisir de nuire, & croit plaire à un dieu de paix en saisant la guerre aux honnêtes humains dont le sanatisme les a faits tyrans ; en vain cette cabale, qui ne voit par-tout que mœurs dépravées, voudroit-elle faire le procès à cette aimable liberté, sous l’odieux nom de libertinage & de débauche