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pour rivaux, tandis que ceux-ci triomphoient en mépriſant l’amour & les graces. Un fléau de l’humanité, plus terrible que tous les vices enſemble, & qui n’eſt ſuivi d’aucun repentir, c’eſt le carnage de la guerre. Ainſi l’a voulu l’ambition des princes. Tant la conſcience qui produit ce repentir, eſt fille des préjugés !

Et cependant cet excellent ſujet, qui, emporté par un premier mouvement, a aſſommé un mauvais citoyen, ou qui s’abandonne à une paſſion dont il n’eſt pas le maître ; cet homme, dis-je, du plus rare mérite, eſt tourmenté par des remords qu’il n’eût point eu, s’il eût tué un adverſaire en brave, ou ſi un prêtre légitimant ſa tendreſſe, lui eût donné le droit de faire ce que fait toute la nature. Ah ! ſi les graces ſont faites pour ſauver d’illuſtres malheureux, ſi en certains cas leur uſage eſt plus auguſte & plus royal, comme Deſcartes l’inſinue, que la rigueur des loix n’eſt terrible ; la plus eſſentielle, à mon avis, eſt de l’exempter de remords. L’homme, ſur-tout l’honnête homme, ſeroit-il fait pour être livré à des bourreaux, lui que la nature a voulu attacher à la vie par tant d’attraits que détruit un art dépravé ? Non ; je veux qu’il doive à la force de la raiſon ce que tant de ſcélérats doivent à la force de l’habitude. Pour un fripon qui ceſſera d’être malheureux, reprenant une paix & une tranquillité qu’il n’a pas méritées vis-à-vis des