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appelle la posa. Chefs et soldats, tout était confondu : ce n’était plus qu’un pêle-mêle. Deux chariots brisés avaient été abandonnés ; des malades laissés en route, des armes jetées. On parlait, on vociférait, on demandait des élections. On avait rédigé tout un manifeste de quatre grandes pages qu’une députation devait me présenter. C’était de la belle et bonne anarchie.

» J’avais le malheur, mon ami, d’avoir des avocats et d’anciens notaires parmi mes volontaires. Ne prévoyant pas mes difficultés avec le gouvernement mexicain, j’avais admis un peu de tout. J’aurais dû n’avoir que d’anciens soldats.

» Les agitateurs étaient donc un avocat nommé D… C…, ex-notaire, un commis ex-socialiste et poltron, un tailleur ex-garde mobile et d’autres animaux de la même farine. L’affaire était grave. Il s’agissait de réformer tous les chefs que j’avais nommés et d’accepter le système électif.

» Je reçus la réclamation signée par toute la compagnie, je répondis que je ferais connaître plus tard ma détermination, et fis sur-le-champ sonner l’assemblée. La compagnie rangée en bataille, chaque officier, sur mon ordre, reprit son commandement, et tout partit en colonne, au pas militaire, comme si rien ne s’était passé.

» Nous marchions par une nuit magnifique ; ce fut une promenade. Cependant, cette dernière étape, qui terminait un désastreux voyage, eut encore ses accidents. Une de mes petites pièces de campagne, attachée derrière un chariot, heurta contre une souche, chavira et reçut des avaries qui ne lui permettaient pas de continuer. Je la remorquai moi-même avec mon cheval et un lazo, jusqu’au rancho que nous venions de quitter. C’est en ne se montrant jamais embarrassé et en agissant ainsi soi-même, qu’on arrive à prendre un ascendant irrésistible sur des natures violentes qui n’admettent un frein qu’à condition de l’accepter volontairement et qui s’en débarrassent dès qu’elles sentent faiblir la main qui les gouverne.

» Après la pièce de canon, ce fut le chariot ; un essieu cassa. Le chariot portait des malades. Un quart d’heure après, l’un d’eux rendait le dernier soupir. On fit halte…