Page:La Madelène - Le comte Gaston de Raousset-Boulbon, sa vie et ses aventures, 1859.djvu/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a dans ma vie une somme de bien et de mal, je considère le supplice comme une expiation du mal ; le peu de bien que j’ai fait et surtout que j’ai voulu faire, me donnent le calme de la conscience. Si je suis ici, c’est pour avoir tenu mes engagements, c’est ma fidélité à ma parole qui creuse ma tombe. J’ai voulu faire du bien aux hommes qui m’avaient donné leur confiance, j’ai sincèrement aimé le pays dans lequel je vais mourir. À part tous mes emportements de passion et de colère naturels à mon organisation, j’ai voulu sincèrement le bien de ce pays, et il ne pouvait que gagner à la réalisation de mes idées. Si la légation de France m’avait appuyé le moins du monde quand je suis allé à Mexico, j’ai la conviction qu’il en serait résulté de grands avantages pour le Mexique et pour les malheureux Français qui luttent en Californie contre un avenir sans issue. Il a dépendu de moi de faire beaucoup de mal si j’avais voulu flatter et exalter des passions mauvaises. Je puis dire que je n’ai fait appel qu’à de généreux sentiments ; ma conscience est donc en repos. J’ai dans l’immortalité de l’âme une foi profonde ; je crois fermement que la mort est l’heure de sa liberté, je crois fermement à la mansuétude infinie du Créateur envers sa créature. Lorsque je demeure quelque temps à suivre cet ordre d’idées, j’arrive à une exaltation qui me fait considérer la mort comme l’heure la plus fortunée de ma vie. Tu le vois, mon frère, je meurs tranquille, et tu ne dois avoir aucune inquiétude sur la manière dont se seront passés mes derniers instants. J’ai prié un officier mexicain de recueillir sur mon cadavre une petite médaille que je porte au cou ; il la remettra pour toi à un ami qui doit aller à Paris, et tu lui diras de se rappeler toujours, en la regardant, qu’une femme doit avoir une vie sérieuse et penser à son ménage, au lieu de rêver bals et colifichets. Tout ce que tu feras pour faire de ta fille une femme de cette nature, attachée à son mari, à ses devoirs, à sa maison, une femme enfin comme sa mère, tu le feras pour le bonheur de ta fille. Quant à tes fils, donne-leur une carrière à parcourir, donne à leur vie une occupation et un but, sinon tremble pour leur avenir. Méfie-toi de l’éducation universitaire, la plus détestable que je connaisse. Tu le sais comme moi, par expérience, les neuf dixièmes des élèves sortent des collèges sans avoir rien appris.