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20 avril 1854.

. . . . . . . . . . Je vous l’ai déjà dit, je ne saurais trop le répéter, le danger est ici et non ailleurs. Comment est-il possible que l’Europe s’en inquiète si peu ? La régénération du Mexique est une nécessité politique du premier ordre.

» Un temps va venir, je le sais bien, où l’intérêt européen sera vivement froissé par l’extension formidable des États-Unis. Mais ne devrait-on pas s’en alarmer déjà ? Ce peuple qui, dans une espace de cinquante ans, est devenu ce qu’il est ; qui menace Cuba, le Canada et le Mexique ; ce commerce sans rival dans sa hasardeuse énergie, dont les navires font le tour du monde et frappent aux portes du Japon : ce peuple et ce commerce, je vous le dis, seront les maîtres du monde avant vingt ans !

» Il faut donc une barrière. Où est-elle ? Qu’une guerre éclate demain, et, quoi qu’en puissent dire les plumitifs diplomatiques, je défie que l’alliance du Mexique soit d’aucune utilité. L’état intérieur de ce malheureux pays ne peut que se gâter de plus en plus entre les mains de la race abâtardie qui l’habite. Le Mexique ne peut se relever que par la conquête !

» Ne vous étonnez pas, mon ami, de me voir embrasser le Mexique entier ; je n’ose pas dire que c’est dans mes plans, mais c’est dans la force des choses. J’ai la conviction que mon œuvre à moi, l’établissement des Français en Sonore, ne sera que le premier pas de la France vers l’occupation de ce magnifique pays. On l’eût soumis vingt fois avec le quart des efforts dépensés en Afrique depuis 1830. Ce ne sont pas ici des populations guerrières, mobiles, insaisissables, attachées à d’autres mœurs, à d’autres idées, au fanatisme d’une autre croyance. Ce sont de grandes villes ; des peuples ignorants, dociles, rompus au joug ; une administration, un gouvernement, une armée, des formes, une religion, des aspirations semblables aux nôtres. Ici nous n’aurions rien à changer. Il suffirait de rendre la vie à ces fictions de gouvernement et d’armée. Avec vingt mille hommes, je me charge de maintenir ces populations dans une obéissance passive, alors même qu’elles seraient hostiles.