Page:La Madelène - Le comte Gaston de Raousset-Boulbon, sa vie et ses aventures, 1859.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dès le jour de son arrivée à la Madelaine, M. de Raousset reçut deux communications officielles, l’une du général, l’autre du gouverneur. Le général reproduisait les trois conditions, en insistant de nouveau sur le voyage d’Arispe. Quant au gouverneur, il formulait une sommation menaçante : obéir en rendant au général

    de tous les instants ! Songes-y ! Peu d’hommes en état de me seconder ; pas un capable de me remplacer. — Deux cent cinquante aventuriers à commander, moitié héros, moitié bandits, qui, semblables aux bêtes fauves de Van-Amburg, n’obéissent qu’à la voix connue.

    « Obligé de courir à travers les espaces sans fin qui séparent ces populations clair-semées ; aujourd’hui, pour aller réchauffer l’enthousiasme de la révolution nationale dans un pueblo à trente ou quarante lieues de mon camp ; demain une course aux Indiens ; puis, un soir, monter à cheval, franchir quinze lieues de désert, pour aller… quelque part, dénouer les tresses blondes d’une Mexicaine amoureuse !… Car en Sonore, ami, et c’est une des excellences de cette terre bénie par le soleil, on rencontre jusqu’à des femmes blondes parmi ces groupes de belles chairs bronzées, de rondes épaules, de pieds nerveux, de regards noirs et de cheveux teints dans les eaux du Styx.

    » Les femmes de Sonore sont belles, bonnes et spirituelles. La race s’est concentrée en elles. Tout ce qu’il y avait de chevaleresque dans le caractère espagnol, au temps immortel de Cortez, s’est conservé en elles : seules elles ont conservé la tradition noble que vainement on chercherait chez, les hommes.

    » Peu de jours après que le gouvernement de Sonore m’eut déclaré rebelle et pirate ; au moment même où j’étais mis hors la loi, où tout individu avait le droit de me tuer comme un chien enragé et devait ainsi bien mériter de la patrie, il se trouvait à ces fêtes de la Madelaine, qui réunissent l’élite du pays, une grande et belle jeune fille nommée Dona Maria-Antonia ***. Elle appartient à une famille considérable ; son père, qui est une des principales autorités du pays, figure nécessairement parmi mes ennemis. On parlait de moi. On m’attaqua ; elle prit ma défense. Sa tante, une vieille dame de beaucoup d’esprit, lui dit assez sérieusement. « Est-ce que tu serais amoureuse du chef des pirates ? » Mon cher Edme, Antonia se leva sans hésitation, se drapa dans son rébozo, et, du plus grand sang-froid : « Oui, je suis amoureuse de celui que vous appelez un