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sûr que ceux de l’inquisition ; mais qui n’en froissa pas moins bien des espérances. — En prononçant la dissolution complète de l’être, pouvait-on dire, vous aussi préjugez ce que vous ne savez pas. Le scalpel est-il instrument à tout saisir ? Pensez-vous égaler la vie, si énergiquement individuelle de l’être organisé, à un simple assemblage de parties diverses ? Si de tout ce qui est rien ne se perd, mais seulement se transforme, comment ce qu’il y a de plus puissant et de plus indivisible dans la vie ne résisterait-il pas à la destruction ? Car ici diviser c’est détruire. Vous croyez aux corps simples, aux molécules primitives, qui vous dit que le moi n’en est point une ? Dans ces mystères où nous sommes plongés, n’êtes-vous pas obligés d’admettre l’invisible et l’insaisi ? N’est-ce pas d’inconnu que vit la science dans son incessant progrès ? En refusant à l’homme l’espace sans limites, en frappant sur ce désir de perpétuité qui est le plus vif et le plus incontestable de son être, vous décapitez ses forces, son audace et ses espoirs. Vous le poussez à céder plus facilement aux alanguissements du déclin, aux affaissements de la vie, à se rapetisser à la mesure de l’espace que vous lui laissez. N’est-ce pas ébranler sa foi dans la vertu que lui défendre de croire à l’invisible ? Et après tout, si c’était la vérité, soit ; mais rien ne le prouve. Nous voulons bien n’affirmer sans preuve aucune espérance ; mais n’affirmez pas sans preuve le désespoir.

L’étude n’a pas de parti ; elle cherche des solutions dans l’étude de l’être et se demande pourquoi tant de querelles, pour l’un ou l’autre principe ? Mais s’il n’y en avait qu’un ?

Être, n’est-ce pas se manifester ? Comment comprendre l’être en dehors de quelque chose, autrement dit matière, si cela ne vous déplaît trop ? Raffinez l’esprit tant qu’il vous plaira, s’il n’est pas quelque chose il ne sera rien. N’est-ce pas vous, ô spiritualistes, qui auriez inventé le néant ? Eh quoi, parce que l’esprit serait quelque chose de tangible en soi, il serait impur. Au nom de quoi, rejeter ce qui est ?

C’est en acceptant sur ce point l’erreur spiritualiste que les matérialistes rejettent l’esprit comme lumière. L’esprit est ; puisqu’il est, il est matière, et par conséquent éternel.

Rien ne peut exister sans forme ; on ne conçoit rien qui n’ait pour point de départ et pour but l’objet. Les identités les plus transcendantes conservent dans l’abstrait des êtres ou des portions d’êtres. Les rêves sont des images ou des lambeaux de réalités ; les mathématiques s’adressent à l’espace et aux quantités. Les sentiments les plus subtils sont des états de l’être, sur lequel ils impriment leur forme ou apparence. Toutes les idéalités ont leurs représentations dans la nature ; une idée confuse est le pressentiment d’objets mal vus, que le travail de la pensée va mettre en relief. Tout le langage n’est-il pas la révélation des analogies du visible et de l’invisible ? Douleur aiguë, cri perçant, pensée haute, esprit étroit. Donc il se mesure. — Et ceci n’est point recherche de rhétorique, mais application spontanée du sens humain qui dans toutes les langues recevait, à travers leurs différences de densité, l’identité des manifestations de la vie. Partout et en tout, nous retrouvons les propriétés de ce qu’on appelle la matière identiques à celles de ce qu’on appelle l’esprit. Celui-ci n’a point d’autres éléments et dans ses créations les plus bizarres ne fait que reproduire les traits, épars ou assemblés des réalités. Corps et cœur, fait et pensée, acte et rêve, tout est matière.

Et tout est esprit. Vous le savez, poëtes, qui dans tous les traits de la nature, recueillez des expressions, qui respirez l’âme universelle. Chaque être est une signification, la réalisation d’une idée. L’un est humble et l’autre superbe. Celle-là semble sourire et provoque la tendresse ; celle-ci représente l’innocence ; d’autres la férocité, la tristesse, le deuil. Ici la grandeur et la majesté ont forme visible ; là, c’est l’horrible ou l’abject. Mais dans cet être immense où tout vit, laideurs et beautés, sublimités et bassesses, rien d’immuable ; pas de sentences fatales ; mais sous l’influence de la volonté réfléchie, transformations et progrès. Le travail purifie la terre et la renouvelle. Avec les créations odieuses qu’ils enfantaient, l’immonde et le stagnant s’éloignent. Ici encore le bien et le mal sont en lutte sur la terre ; mais c’est sur la terre que le bien triomphe, grâce à l’union féconde de l’idéal et de la réalité.

Quant à nos efforts pour percer le commencement et la fin des choses, s’ils restent vains, du moins, les ténèbres qui vous les cachent peuvent sans cesse être reculés. Cela pourtant ne satisfait pas tous les esprits. L’homme n’est point patient, et l’inquiétude qui fait sa grandeur fait aussi sa faiblesse. On s’est jusqu’ici tant nourri de certitudes achevées qu’à n’en plus avoir l’esprit se croit vide. Le doute a pourtant plus d’espace et de perspectives que n’ont des certitudes nécessairement limitées. Le doute est la foi de nos temps. C’est l’adoration du Dieu Inconnu, et l’abjuration des idoles. Il n’exclut pas le culte. Car nous avons un milieu où croire et agir d’une façon nette et précise, celui de la justice, et peut-être bien est-ce assez pour le moment.

André Léo.


LA LOGIQUE DU SPIRITUALISME

En médecine, l’homéopathie, en philosophie, les tables tournantes, tel est l’aboutissant du spiritualisme. Le raisonnement le faisait prévoir, l’expérience vient le confirmer.

Je n’en veux pour preuve qu’un petit volume in-douze, publié par un certain docteur Chauvet. Cela vient de Tours, pays de M. Mame et de la bibliothèque que vous savez : ce n’est pas approuvé, ça pourrait l’être.

Un mot, en passant, sur l’homœopathie ; le sujet est intéressant, mais nous ne voulons pas l’épuiser. Rappelons seulement au public, et M. Chauvet l’établit fort bien, que la théorie d’Hannemahn est indissolublement liée aux croyances spiritualistes, c’est-à-dire à l’admission du surnaturel.

En effet, la maladie n’étant qu’une déviation du principe vital ( ?), ou mieux « le résultat de l’insuffisance de l’action vitale contre l’action morbifique »[1], le médicament, substance matérielle, ne peut agir sur toutes ces choses vitales (lisez immatérielles).

Donc, comment faire ? Le vitaliste simple (officinalis) est fort embarrassé, n’ayant pas le courage de son opinion ; le vitaliste homœopathe, lui, n’est pas gêné pour si peu. Tout tranquillement, il divise la matière à l’infini (doses infinitésimales), et voilà le problème résolu. On ne parvient pas à l’immatériel, on s’en rapproche !

Comme disait je ne sais plus quel journaliste médical, jetez un grain de sulfate de quinine à la Seine, et voilà de quoi guérir de la fièvre tous les habitants du Havre. Je ne tiens pas d’ailleurs à renouveler les plaisanteries plus ou moins heureuses qui se répètent à ce sujet ; en pareille matière, rien ne vaut tant que de citer.

  1. Esprit, force et matière, p. 43.