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Béniowski crut devoir y consentir, ne fût-ce que pour se donner le temps de prendre une détermination quelconque :

— Où aller maintenant avec un navire de construction barbare, mal équipé, sans artillerie, presque sans approvisionnements ? L’on ne pouvait songer à pénétrer dans les possessions chinoises, à moins que ce fût pour y porter la guerre. Prendre la route des Indes était impossible, faute de vivres. Dans les colonies hollandaises, le récent combat du Saint-Pierre et Saint-Paul contre le Sanglier-Batave pouvait donner lieu à une accusation de piraterie. Fallait-il retourner auprès du roi Huapo, après des revers qui détruiraient à ses yeux tout le prestige des succès passés ? Fallait-il remonter jusqu’à Usmay-Ligon pour y demander aide et secours au père Alexis qui, après les fiançailles d’Aphanasie de Nilof avec le vicomte de Chaumont, s’y était arrêté sur les instances des insulaires catholiques ? Mais c’était rétrograder.

Béniowski avait sauvé du naufrage tous ses précieux travaux, ses cartes marines et les archives du Kamchatka ; l’amertume de ses regrets, la perte d’Aphanasie et de Richard, son découragement et ses angoisses, ne l’empêchaient pas de songer à ses grands projets de colonisation et de conquêtes. Tour à tour, il se sentait abattu et faible, fort et capable de surmonter les difficultés. Au milieu de ses défaillances morales, son orgueil et son ambition se réveillaient.

— Vouloir c’est pouvoir ! s’écriait-il parfois avec véhémence.

Puis, tout à coup, il se sentait anéanti.

Personne à bord ne reçut la confidence de ses poignantes incertitudes. Le chevalier du Capricorne, désormais second du navire, le vit toujours calme et ferme ; Vasili même ne soupçonna que la moindre partie de ses tortures.

L’équipage était triste ; mais qui aurait pu ne pas être affligé,