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lorsqu’elle se rapproche de la vérité, c’est pour la dénaturer complétement. L’auteur de cet odieux factum ne peut être que le sieur Stéphanof à qui j’ai plusieurs fois fait grâce de la vie et avec lequel je regrette de ne pouvoir être confronté. Le véritable itinéraire de ma campagne existe. Ce sera, messieurs les juges, une pièce de la plus haute importance pour vous ; car ce n’est plus à présent une, deux ou dix personnes qui s’accorderont pour en attester l’exactitude, mais quatre-vingts… Oui, Messieurs, les quatre-vingts prisonniers, accusés d’avoir exercé la piraterie sous mes ordres, vous diront séparément où nous étions et ce que nous faisions, jour par jour, conformément au texte de ma relation de voyage, que voici.

À ces mots, le général polonais prit sous ses vêtements son journal de route et le déposa entre les mains du président du conseil, qui jeta un regard de mécontentement au baron de Luxeuil, dont l’incurie se révélait ainsi sous un nouvel aspect. En effet, si le baron avait cru que Béniowski fût un pirate, il aurait dû le faire fouiller dès son arrivée à bord et s’emparer de tous les papiers qu’il avait sur lui.

Le baron de Luxeuil traduisit si parfaitement le blâme muet du président, qu’il s’écria :

— M. le lieutenant Kerléan n’a point fait son devoir !

Kerléan demanda la parole. Il voulait déclarer que n’ayant pas reçu l’ordre formel de faire fouiller les prisonniers, il avait été heureux de pouvoir s’abstenir. Mais la parole lui fut refusée, et le président rappela le rapporteur à l’ordre avec une fermeté menaçante.

Béniowski relata l’étrange combat qu’il avait été contraint de livrer à un trois-mâts le Pierre-le-Grand, commandé par l’un des meilleurs officiers de la marine russe, hambourgeois de naissance, nommé Karl Marsen qui, préservé par le fait de la perfidie d’une bande de faux frères, lui en témoigna sa grati-