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XIV

PREPLEXITÉS ET AVANCEMENT DU CAPITAINE VENTUREL.


Depuis que le capitaine Venturel avait expédié coup sur coup dix estafettes et dix messages semblables au général comte de Béniowski, le digne homme ne vivait plus. – Il ne dormait point, il mangeait à peine ; nuit et jour, la lunette d’approche braquée tantôt sur les eaux de la Tingballe, tantôt sur la baie d’Antongil, tantôt sur les hauteurs déboisées de la route du fort Saint-Jean, il se livrait au plus lamentable monologue :

— Après vingt-neuf ans d’honorables services, quand je n’ai plus que quelques mois à passer sous les drapeaux pour avoir droit à ma retraite, et me retirer avec ma femme et mes enfants dans mon village du Rouergue, être mis dans l’effroyable position de trahir le noble Béniowski ou de désobéir à l’illustre M. de Ternay, gouverneur de l’Île-de-France !… Être entre l’enclume et le marteau !… Trembler de me compromettre, risquer de perdre le fruit de dix campagnes !… Si les commissaires du roi arrivent les premiers, ce sera moi pourtant, moi qui serai forcé de leur remettre les clefs des forts Louis, Saint-Jean et Auguste… car enfin je ne puis résister à messieurs les commissaires du roi !… Et pourtant, si jamais le gouvernement et le ministère se ravisent, si l’on s’aperçoit que le général faisait ici tout pour le mieux, si… c’est à moi, pauvre petit capitaine, qu’on s’en prendra : – « J’aurais dû attendre le retour de mon général, ne rien livrer, résister jusqu’à la mort… » – Quelle alternative !

Le Coureur, envoyé à l’Île-de-France avec les plis cachetés