Page:La Justice du Var, année 6, n° 452 (extrait), 10 août 1890.djvu/21

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour constituer un parti politique avec la fraction vacillante des républicains et quelques droitiers qui ne voudraient pas mourir encore, ne peut aboutir qu’à une immense déception. Ceux-là mêmes qui trouvent les progressistes gênants, les sentiront bientôt nécessaires, car ils sont le ferment, le sel de cette masse inerte et sans levain, inutile culot de la bourgeoisie française. Il faudra donc garder de cette concentration, contre laquelle on crie, tout ce qui en sera nécessaire pour maintenir jusqu’à sa transformation, le parti républicain actuel.

Car le parti républicain demeure l’aboutissant de toute l’histoire de France et tout désagrégé qu’il soit, il est vivant. Il plonge par ses racines dans l’inépuisable réservoir des forces populaires. Cette apparente désorganisation que je signalais tout à l’heure c’est la préparation, c’est l’élaboration nécessaire d’une organisation nouvelle. Ce qui paraît un affaiblissement momentané de sa puissance, c’est un gage de vie, c’est l’enfantement de l’avenir.

Cependant sous nos yeux le parti monarchiste est étendu — mort. Toute la question est précisément de savoir ce qu’on fera du cadavre, suivant quelles lois de la nature il se décomposera, et quelles précautions il convient de prendre à cet égard.

Ce qui est vivant, très vivant encore et très puissant, c’est l’Église catholique, la plus grande force politique organisée qui soit. Le pape voit de loin, le pape n’est pas pressé. Ne servant qu’un intérêt, celui de l’Église, il saura bien courber sous le joug de son alliance les conservateurs de quelque nom qu’ils soient. Il s’est débarrassé de M. d’Haussonville qui se donne aujourd’hui ridiculement comme le dernier défenseur de la foi. Il se débarrassera quelque jour de M. Piou devenu à son tour compromettant. Jusqu’où ira-t-il, il serait hardi de le dire. Il ira peut-être loin, toujours demandant la tolérance, toujours poursuivant la domination.

Mais tôt ou tard, les deux grande groupements qu’appelle l’histoire, se feront spontanément : d’un côté sous l’égide de l’Église, toutes les passions, tous les intérêts, toutes les forces du passé. Conduit à la bataille par le chef des vieilles croyances séculaires, l’ordre ancien sous un drapeau nouveau. Et de l’autre côté, les masses profondes des campagnes aussi bien que des villes, non plus dispersées, disséminées, livrées à l’ignorance, à l’indiscipline, aux caprices du hasard, mais accrues par la culture, par une organisation puissante, soumises à la forte et volontaire discipline d’hommes qui, sachant, veulent ; et voulant, peuvent ; disposant de la force et de la légitimité ; invincibles.

Nous — préparons ce jour, fiers de l’œuvre future, supérieurs aux misères des luttes quotidiennes où s’élaborent les hautes destinées de la démocratie.

Préparons ce jour, en maintenant dans toute sa force la France, la grande semeuse des idées d’émancipation, de Liberté, de Justice ; la France, la Patrie des hommes. Amoindrie, vaincue, ménageons ses forces pour la défendre, au lieu de disperser follement son sang et son or à tous les coins de l’horizon.