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LE CHATEAU DE LUCILE

Je suis parti, un soir, pour le château de Lucile... Les lanternes allumées de la grande berline attiraient le vol rôdeur des moucherons nocturnes qui tournoyaient avec un bruit d’ailes vives autour de cette sorte d’étoile prisonnière et attractive. Des berges de la rivière, des jardins humides de crépuscule, des roseraies ténébreuses, des allées obscures venus, ils traversaient d’un passage vibratoire le silence délicat d’un soir rose et mauve aux coteaux de blés et de bois par delà les toits de la ville.

Les lourds chevaux, la crinière et la queue nattées et quelque futile rose au frontail, piaffaient sur le pavé sonore de la place déserte et je passai la tête par la portière pour crier de se hâter au postillon qui savait les routes, les côtes et la province, où, à l’ombre de vastes forêts préservatrices, à l’écart, parmi des étangs spacieux et des viviers frigides, au fond des parcs en bosquets, se cachait l’étrange et l’ignoré château où Lucile m’avait convié par la promesse du sourire de ses yeux à des fêtes jaillies de fontaines et de fleurs, à des lunes douces sur des pelouses embaumées, des tables de fruits et de cristaux — mystères d’une demeure assortie à sa manière d’être femme — à la joie, en quelque boudoir isolé et langoureux comme le bonheur même, de son corps à travers les dentelles des mousselines, de sa chevelure, si impérieusement en proie aux strictes griffes d’un