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—4o5— Victoire! Le beau prince a redressé la tête! Des violons en lui chantent un air de fête, Et son cœur danse dans sa poitrine, et soudain Toutes les vagues voix confuses du jardin Semblent avec leurs bruits de ramures et d'ailes Acclamer le bonheur de ces amis fidèles! Le cerveau pavoisé de projets glorieux, Le prince au sang brûlé, d'un bras impérieux Jette entre eux et le monde un geste de bravade, Et, comme sur sa toque un plumet de parade, Sur son rêve néfaste arbore cet enfant! Et le voici versant, d'un verbe triomphant, Dans l'esprit ingénu du page les merveilles Des Heptamérons d'or et des noces vermeilles, Les jolis noms qu'il donne à ses petits griffons, Les latfi barbelés que les rouges bouffons Lancent pendant le bal au blanc troupeau des mimes, La musique des vers, le doux écho des rimes, Les rencontres d'amour sous les flambeaux éteints, Et les chansons d'acier qu'en leurs jeux serpentins Les tireurs florentins font chanter aux épées; Quand tout à coup, livide, et les lèvres crispées, Immobile, la haine au cœur, l'orage au front, Le beau prince aux grands yeux nocturnes s'interrompt 0 lâcheté du sort! 0 bonheur éphémère! Cet enfant, le dernier espoir de sa chimère, Sa gloire, son délice et son pardon vivant. Pour qui, glaive au soleil, casque et drapeaux au vent, Il rêvait quelqu'ardente et folle apothéose, Ce misérable enfant lui préfère une rose Tendrement incliné vers la fleur, l'oublieux. Sans écouter, la hume et s'y fleurit les yeux, Et d'un baiser lascif s'y parfume la bouche Et rit, lorsque soudain, la dague au poing, farouche, Le beau roi, pantelant de honte et de douleur, S'élance sur le page et poignarde la fleur. ALBERT GlRAUD