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—398— avec force, — toutefois les yeux fermés, — car, de-ci, de-là — un cadavre émergeait des flots. — Le long des berges, — à l'instar des grenouilles effa rouchées, — sautaient dans l'onde des adolescents et des vierges. — Sur l'autre rive, — ah I là-bas aussi, et de partout, — s'offrit à moi le même spectacle : — partout l'on ne rencontrait — que des coupes empoisonnées et des hommes pendus; — et, à l'arrière-plan, d'autres hommes se préci pitaient — du haut des roches, — et le long des parois des pierres aiguës — coulait le sang des jeunes cœurs — et la cervelle des crânes. — Désespéré, affolé, — je m'élançai de tous côtés, — mais je ne vis partout que ce même spectacle effrayant : — des visages bouleversés ou des suicidés ! — Seule la contrée souriait gaîment, — et gaîment le soleil rayonnait au-dessus d'elle. Le Fou. D'où vient ce bruit? — Arrière, fuyez loin d'ici! — Vous me dérangez dans mon travail ! — Partez donc ! sinon je vais tresser un fouet, — un fouet tout flamboyant, fait de rayons de soleil; — armé de lui, je vous chasse à travers le monde! — Ah, comme ils gémiront... et moi je rirai, — tout comme ils ont ri quand jadis j'avais gémi : Ha, ha, hal Car telle est la vie : rien que gémissement et hilarité. — Mais la Mort crie enfin : « Silence! » — Je fus mort autrefois; — ceux qui buvaient mon vin, — versèrent du poison dans mon eau. — Et que firent mes meurtriers — pour cacher leur forfait? — Lorsque je fus étendu sur la planche, — ils se jetèrent sur mon cadavre et pleurèrent. — Ah! comme volontiers j'aurais sauté sur eux — pour leur mordre le nez; — mais : Non, pensai-je, je n'en ferai rien ; — il vaut mieux qu'ils sentent avec le nez — la pourriture de mon corps jusqu'à en crever : Ha,ha,ha! Et où m'avait-on enterré? — En Afrique. — C'était là mon bonheur; — car une hyène m'y avait déterré. — Cette bête était mon unique bienfai trice, — et cependant je la trompai. — Elle voulut ronger mes os ; — en échange de cela, je lui offris mon cœur, — et ce cœur était si amer qu'elle en mourut : Ha, ha, ha! Oui, oh ! oui ! Voici ce qui arrive à tous ceux — qui veulent faire du bien aux hommes. — Qu'est-ce que l'homme? — On dit : C'est la racine d'une