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—335— l'admire et la déclare exquise. Partageant ensuite les poètes novateurs en trois groupes, il loue successivement, avec sa native et peut-être excessive aménité, les poètes qui se contentent de desserrer le mécanisme intérieur de l'alexandrin, ceux qui, à l'imitation de M. H. de Régnier, entourent l'alexan drin, gardé comme l'accord fondamental du rythme, d'une série de modula tions voisines et imprécises, ceux enfin qui ont instauré une forme nou velle, que M. Kahn appelle le vers libre, que M. Mallarmé propose d'intituler : « vers polymorphe » et que nous-même, pour des raisons que nous exposerons plus loin, nous préférons dénommer : « la mélopée ». M. Mallarmé applaudit à toutes ces innovations, mais il importe de bien noter sa pensée, exprimée peut-être trop discrètement : « Je demeure con vaincu, dit-il, que dans les occasions amples on obéira toujours à la tradition solennelle, dont la prépondérance relève du génie classique ». Et pour mieux marquer encore sa conviction, M. Mallarmé précise les cas où, selon lui, on pourra sans inconvénient abandonner la technique tradition nelle : « Seulement, lorsqu'il n'y aura pas lieu, à cause d'une sentimentale bouffée ou pour une anecdote, de déranger les échos vénérables, on regar dera à le faire ». Ainsi, aux yeux de M. Mallarmé, les libertés nouvelles ne sont appelées à jouer qu'un rôle secondaire; l'expression des grands sentiments lyriques restera dévolue à la technique traditionnelle. Par un petit livre intitulé : Réflexions sur l'art des vers, M. Sully- Prudhomme a pris position : « Sans doute, dit-il, on prétend que, loin d'abolir le vers, on le perfectionne, qu'on en réforme la mesure pour en parfaire l'harmonie, pour en multiplier et mieux exploiter les ressources d'expression musicale ; nous craignons, au contraire, qu'on n'en mécon naisse les caractères musicaux propres pour les confondre avec ceux de la prose. » Et M. Sully-Prudhomme précise l'objet de son travail en ces termes : « La question, au point où l'ont amenée les violences récemment faites à la poétique traditionnelle, peut se poser comme il suit : En quoi, dans notre langue, la versification diffère-t-elle essentiellement de la prose? » Tout l'ouvrage du savant poète a pour but de résoudre cette question. On devine la solution qu'il propose en lisant la définition qu'il donne de la versification : « C'est, dit-il, l'art defaire bénéficier le plus possible le lan gage des qualités agréables et éminemment expressives du son ». M. Sully- Prudhomme condamne d'ailleurs, sans ambage, les innovations récentes ; il déclare (p. 35) que la versification a « une phonétique toute spéciale, éminemment distincte de celle de la prose, et découverte après des tâton nements si nombreux qu'il n'y a désormais aucune chance d'y rien pouvoir innover de fondamental ». Plus loin (p. 83), il s'adresse aux « novateurs de bonne foi » et dit : « Peut-être reconnaîtront-ils que cet art, après la contribution capitale qu'il doit au génie de Victor Hugo, a reçu tout son complément, a épuisé tout le progrès que sa nature comportait ». Dans un sens diamétralement opposé, M. R. de Souza vient de publier un gros volume intitulé : Le Rythme poétique, pour conclure à l'insuffisance actuelle de la technique traditionnelle. Il est un peu fastidieux de suivre