Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/308

Cette page n’a pas encore été corrigée

—3oo— Ah, ne m'en parlez pas! Je fus artrappé dans une affaire que j'ai honte d'avouer : un corps mort. Cette musique se jouait chez nous à livre ouvert, mais le diable s'en est mêlé! C'était en hiver; il fallait dégeler le cadavre; nous le charriâmes jusqu'à un très grand village, et là, comme c'était notre habitude, nous nous mîmes à prélever dans chaque maison qui ne désirait pas l'héberger. Nous le promenions de la sorte jusqu'à ce qu'il ne restât qu'une seule isba, celle de la veuve d'un soldat; et comme elle n'avait pas d'argent, nous déposâmes chez elle le corps mort. Nous rassemblâmes ensuite, le lendemain, des témoins, et le désir nous vint, cela va sans dire, d'en profiter ; et pour que les gars ne se dispersassent pas, nous confisquâmes leurs bonnets, enfermant ces couvre-chef dans l'isba. Malheureusement, cette affaire avait été manigancée avec trop peu de précaution, trop de gens l'avaient remarquée. A cette époque, nous avions un gouverneur de pro vince, je ne vous dis que ça : un chien que je n'oublierai jamais, diantre soit de lui! Aussitôt on m'a chassé du service et les tiraillements commen cèrent. On n'a quand même pas réussi à me confondre, mais on m'a sali tout à fait en me livrant à la justice. Et le croiriez-vous, je sais qu'ils seront obligés de m'acquitter, n'ayant pas contre moi des preuves directes — mais non, ces brigands me harcèlent sans cesse. Voici dix ans qu'ils me traînent : tantôt ils font des enquêtes, tantôt ils complètent l'instruction. Et moi, pendant ce temps, je reste sans pain et attends le beau temps qui n'arrive pas!(i)» Traduit du russe par L. WALLNER. LA BELLE QU'UNE BARQUE AMÈNE Sur le fleuve que n'arrête En son cours idyllique aucune cité De tumultes heurtés, Aucune ville en lourde fête Saffolant de fanfares et de violons, Lente passe une barque au fleuve d'élection. La Barque est d'antique structure; Elle a franchi bien des typhons, Aventurant sa proue en plus d'une aventure... (1) Schtchedrine est le pseudonyme de Saltykow. Cet éminent humoriste russe naquit dans le gouvernement de Tver en 1826 et mourut en 1891 . Tchinownik lui-même, il eut l'occasion belle pour observer de très près ce qu'il décrit avec une vérité si grande, ne gazant aucun détail si effrayant ou si navrant qu'il puisse être.