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—264— priait de revenir sur sa dangereuse résolution. « A ton Willem de profiter de cette belle occasion et de se montrer digne de toi ! S'il échoue, tu es perdue pour lui et je te marie à son vainqueur, oui, celui-ci fût-il laid comme le diable! » Willem sait l'implacable entêtement du père de sa bien-aimée. Lui aussi a fait un serment : Ou bien il l'emportera, ou bien il restera sur le carreau. Il a même communiqué cette sinistre alternative dans une lettre à son frère Alm, son meilleur confident. Il vient de prendre position avec l'élite de ses partenaires, près de l'entrée du cimetière. Non loin d'eux se campe, fier jusqu'à l'arrogance, Frans le Borgne, chef du contingent de Krawinkel, le successeur du digne Alm. Et plus loin encore, non moins présomptueux, se rengorge et parade Jef, l'espoir de Geleen. Il s'agit d'empêcher que, par un coup d'adresse, l'adversaire n'attrape à la volée le korsbrood lancé sur la place et ne décroche d'emblée et par surprise, la couronne après laquelle halète chacune des coteries. Willem promène une dernière fois les yeux vers le balcon du Grand Cygne où il a reconnu l'adorée. Elle, de son côté, ne cessera de le couver de ses ferventes prunelles. De la tête elle lui a fait un signe d'encouragé ment. A travers l'espace, en dépit des obstacles, quoiqu'il arrive, leurs âmes se promettent une éternelle communion. A présent Willem soulève rait des blocs de rochers et tiendrait tête à une armée entière. Mais attention! Subitement le brouhaha s'apaise. Quatre heures sonnent à l'église. La porte latérale du chœur vient de s'ouvrir et le sacristain apparaît sur le seuil. Poings campés sur les hanches, les jeunes rustres ne bougent plus et tous dardent vers un même point de mire, vers la main qui leur montre le korsbrood, des regards plus fiévreux, plus ardents que le four où il fut cuit. Les spectateurs ne sont pas moins anxieux durant quelques secondes et, depuis le dernier coup de l'heure, plus le moindre son ne traverse cette fluide et vibrante atmosphère de gel. Puis, une oscillation, une poussée et une longue clameur : « Voilà le korsbrood ! Le voilà ! » Lancé du portail, le pain traditionnel roule, presque à ras de terre, non sans ricocher, dans l'étroit sillon que lui ménage la double haie des jou teurs. Tous ceux des premiers rangs se sont penchés à la fois : c'est un moutonnement de croupes houleuses, des centaines de bras plongent vers le sol pour agripper le palet de seigle au passage. Un des féaux de Willem Vogelsang y est parvenu, mais quelque prompte et furtive qu'ait été son action, elle n'échappe pas à la vigilance des autres gars, et avant même qu'il