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—2oo— Je vous en supplie, Monseigneur, rentrez en vous-même et voyez la vie que vous avez menée depuis trois ans. La gloire de vos ancêtres acquise par tant de sang, entretenue avec si grande prudence, conservée par si heureux conseils, ne se représente-t-elle pas quelquefois devant vous. Le souvenir de leurs victoires n'a-t-il pas encore touché le marteau de votre conscience ? La magnanimité et la valeur par laquelle ils ont fait retentir leur nom par le monde est-elle éteinte en vous? Les trophées et les monuments qu'ils ont édifiés à tous les coins de la terre sont-ils effacés de votre mémoire? Où est donc maintenant l'ardent désir qui bouillonnait en vous, dès votre enfance, de rendre l'Italie tributaire et de vous faire couronner à Rome, empereur d'Orient et d'Occident. Si Ottoman, le premier tronc de votre illustre famille, se fût ainsi laisser manier par les femmes et corrompre par l'oisi veté, vous n'eussiez pas hérité du superbe empire de la Grèce, ni subjugué la Galatie, la Bythinie et plusieurs autres provinces qui environnent la mer Majeure. Ni semblablement son fils Orcan, vive image de son père et continuateur de ses valeureux faits, n'eût triomphé de la Licaonie, de la Phrigie, de la Carie, ni dilaté les bornes de ses conquêtes jusqu'à l'Helles- pont. Que dirai-je d'Amurat, successeur d'Orcan, qui passa son armée turque en Europe, conquit la Thrace, la Sirie et la Bulgarie. Et Bajazet, ne tint-il pas tête au grand Tamerlan, appelé le fléau de Dieu, qui menait en campagne un déchaînement de quatre cent mille cavaliers scytheset de six cent mille fantassins. Passerai-je sous silence les magnifiques exploits de votre aïeul Mahomet qui s'empara de la Macédoine, fit sentir le tranchant de ses armes jusqu'à la mer Zonique, sans tenir compte de ses admirables expéditions contre les Lydiens et les Ciliciens. Maintenant je ne puis1 évoquer sans douleur le souvenir de votre père Amurath qui, pendant quarante ans, fit trembler la terre et la mer sous la fureur de sa main forte et tira si cruelle vengeance des Grecs que leurs plaies saignent encore à présent, et qui, jusqu'au mont de Thomao et de Pinde, dompta les Phocenses, rendit tributaire l'Attique, la Béotie, l'Etolie, la Catmanie et toutes les autres nations barbares depuis la Morée jusqu'au détroit de Corinthe. Il n'est pas besoin que je déduise par le menu la cruelle bataille qu'il livra à Sigismond et à Philippe, duc de Bourgogne, où il mit en déroute toutes les forces des chrétiens, retint prisonnier leur empereur et le Bourguignon qui fut mené à Andrinople ; je ne parlerai pas davantage des autres furieuses armées qu'il conduisit victorieusement en Hongrie.