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mière, sont marqués, dans la prose de M. Lavachery, par des traits caractéristiques et justes. Ce roman wallon nous annonce un romancier. Malheureusement, M. Lavachery, sous prétexte d'être naturel, est parfois vulgaire, et sa langue est gâtée par des expressions incorrectes et veules. On lui a fait un mérite de ces incorrections et de ces veuleries. Nous espérons bien que l'auteur des Lourty ne méritera pas deux fois un pareil éloge.

Je ne sais trop quel éloge décerner à M. Carlos du Fay, le poète des Automnales, qui publie sous ce titre des vers printaniers, moins libres que les illustrations qui les accompagnent, et dont il convient de citer un échantillon : Nous jaserons en vrais amants, Ma bien-aimée ! Ainsi dit le petit oiseau... C'est fort bien, et je n'y vois aucun inconvénient grave. Mais que le petit oiseau ne recommence pas. M. Carlos du Fay a de l'abondance et de la verve. Le jour où il sera convaincu que l'art des vers n'a aucun rapport avec le ramage du petit oiseau, ni même avec le plumage de la « petite oie », il travaillera pour devenir un bon ouvrier, et nous verrons alors s'il a l'étoffe d'un poète. Et quoi qu'il arrive, il ne publiera plus les Automnales. C'est déjà un résultat.


M. Gabriel Trarieux, l'auteur de la Chanson du Prodigue, n'en est pas à ses débuts. Je connais de lui un Confiteor qu'il n'a pas eu de peine à se faire pardonner. Il nous offre aujourd'hui une série de poèmes d'un accent pénétrant et d'une belle richesse de vision, qui ne peuvent passer inaperçus, et qui dénoncent un artiste capable d'atteindre un jour à la maîtrise. Le prodigue qui chante dans les vers de M. Gabriel Trarieux est-il l'enfant de la légende, ou bien symbolise-t-il l'âme humaine, et ses regrets nostalgiques du bonheur qu'elle a dédaigné? Je crois bien que l'interprétation la plus large est la meilleure. Le poème intitulé Prélude ne me donne pas tort :

Ah! le vieux mal de vie errante, et la folie De faire de l'amour candide et grave, un jeu ! Mal du Bonheur tout juste effleuré qu'on oublie!...

L'opulent cortège des poèmes qui suivent évoque tour à tour des sites d'enfance, des idylles mortes, les gloires et les amertumes de la chair, et le navrement de l'exil dans les vulgarités de la vie banale et de la rue. L'œuvre s'achève avec Le Livre de Béatrice, un cantique d'amour d'une haute et poignante tristesse. Sans doute, on pourrait relever dans la Chanson du prodigue quelques réminiscences d'œuvres très récentes, et M. Gabriel Trarieux apparaît, dans

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