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—i4i— LITTÉRATURE RUSSE POÉSIES DE TUTCHEW (0 I I a nuit de juillet scintillait — Toute chaude encore des feux du jour, — Et au-dessus de la terre assombrie — Le ciel plein d'orage frémissait, — Lançant des éclairs muets. Il semblait que de lourdes paupières — Se soulevaient par intervalles inégaux, — Et qu'à travers ces fugitifs éclairs — Apparaissaient des prunelles menaçantes, — S'enflammant au-dessus de la terre. II Soirée d'automne Il est dans le lumineux des soirs d'automne — Un charme intime et mystérieux : — Cette splendeur de mauvais augure, cette bigarrure des arbres, — Ce bruit des feuilles rousses léger et langoureux, — Cet azur si calme et si voilé — Au-dessus de la terre triste et orpheline, — Et — comme le pressentiment des tempêtes descendantes, — Parfois ce vent froid et saccadé... — Quelle avarie, et quel épuisement! — et sur le tout — Quel doux sourire de l'étiolement, — Que dans un être doué de raison — Nous appelons la pudeur élevée de la souffrance. III Comme l'Océan qui entoure la sphère terrestre, — La vie ici-bas est de toute part entourée de rêves; — Arrive la nuit — et en flots sonores — L'élément bat son bord. (1) Tutchew, fils d'une noble et opulente famille russe, est né cnï'18o5 et mort à Saint- Pétersbourg en 1873. Il appartient à la pléiade d'écrivains brillants qui entouraient le soleil poétique d'Alexandre Pouchkine. Tutchew n'est qu'un poète lyrique, mais son originalité et sa haute valeur artistique sont incontestables. ll est à peine connu dans l'Europe occidentale ; en Allemagne il n'est connu que par une traduction en vers parue à Munich en 1861. On a comparé Tutchew à Pouchkine : Son vers possède, en effet, une concision, une force, une éloquence merveilleuse, avec cela une grâce, une légèreté et une transparence cristalline. L. W.