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cheval de poste. Ils lui recommandaient de ne jamais broncher, ni mordre, ni ruer, ni blesser personne ; ils l’exhortaient à courir légèrement, à manger peu, à souffrir patiemment l’éperon, comme autant de moyens pour exciter la compassion des dieux, qui font souvent un homme de qualité d’un bon cheval, et qui l’élèvent à la dignité de mandarin. Toutes ces idées assiégeaient sans cesse l’imagination du vieillard, le faisaient trembler, et troublaient chaque nuit son sommeil. Dans ses songes, il croyait se voir sellé, bridé, et tout prêt à partir au premier coup de fouet du postillon. Il se trouvait couvert de sueur et tout éperdu à son réveil, incertain quelquefois s’il était homme ou cheval. Comme il avait entendu dire que, dans la religion du missionnaire, on n’avait point à redouter un sort si misérable, et qu’on ne cessait pas du moins d’y conserver la qualité d’homme, il souhaita vivement d’y être reçu, et le missionnaire assure qu’il mourut très-bon catholique.

La doctrine de la transmigration des âmes est extrêmement propre à soutenir les fraudes et les artifices que les bonzes inventent pour exciter la libéralité du peuple : on en lit un autre exemple dont on ferait un très-bon conte. Deux bonzes, voyant deux beaux canards dans la cour d’un riche paysan, se mirent à soupirer et à pleurer amèrement. La maîtresse de la maison, qui les observait de sa chambre, sortit avec empressement pour leur demander