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abondance, chargés de fruit, dont le lait est peut-être le plus puissant anti-scorbutique qu’il y ait au monde ; ils supposaient avec raison qu’il devait y avoir des limons, des bananes et d’autres fruits qu’on trouve généralement entre les tropiques ; et, pour comble de désagrément, ils apercevaient des écailles de tortues éparses sur le rivage. Tous ces rafraîchissemens qui les auraient rendus à la vie n’étaient pas plus à leur portée que s’ils en eussent été séparés par la moitié de la circonférence du globe ; mais en les voyant ils sentaient plus vivement le malheur d’en être privés. Il est bien vrai que leur situation n’était pas plus fâcheuse que si la distance seule, et non une chaîne de rochers, les eût empêchés d’atteindre à ces biens si désirables. Ces deux genres d’obstacles étant également insurmontables, des hommes soumis à l’empire de la raison n’auraient pas dû être plus affectés de l’un que de l’autre ; mais c’était une de ces situations critiques où la raison ne peut garantir les hommes de la force que l’imagination exerce perpétuellement pour aggraver les calamités de la vie.

» Informé de la profondeur des eaux, je ne pus m’empêcher de faire le tour de l’île, quoique je susse qu’il fût impossible de se procurer aucun des fruits qu’elle produisait. Tandis que nous en prolongions les côtes, les naturels accoururent sur la plage en poussant des cris et en dansant ; souvent ils s’approchaient du rivage, agitaient leurs longues piques d’un air