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hauteur, au milieu de l’île, aperçut le Centurion dans l’éloignement. Il se mit à courir vers le rivage, en criant de toute sa force, le vaisseau ! le vaisseau ! Ceux qui l’entendirent, jugeant par la manière dont cette nouvelle était annoncée qu’elle devait être vraie, la portèrent avec le même empressement au chef d’escadre. Il était dans l’ardeur du travail. Un bonheur qu’il espérait si peu lui fit jeter sa hache ; « et sa joie, suivant l’expression de l’auteur, parut altérer pour la première fois cette parfaite égalité d’âme qu’il avait conservée jusqu’alors. Tout le monde l’accompagna jusqu’au rivage avec des transports qui approchaient de la frénésie, pour se repaître d’un spectacle dont on s’était cru privé pour jamais. »

L’absence du Centurion avait duré dix-neuf jours, pendant lesquels il avait éprouvé toutes les horreurs d’un impitoyable élément. Il avait d’abord été poussé vers l’île d’Agnigan, au risque de s’y briser mille fois dans l’obscurité des ténèbres. Ensuite les courans l’avaient fait dériver plus de quarante lieues à l’ouest, d’où il n’était revenu à la vue de Tinian qu’avec des peines et des fatigues incroyables. La perte de son grand canot, qui s’était brisé dès la première nuit contre le bordage, jeta Anson dans un extrême embarras. Il fut obligé de faire transporter toutes les futailles sur des radeaux, et de furieux coups de vent l’exposèrent à de nouvelles alarmes. Cependant on parvint à charger autant de provisions que l’île put en fournir ; et