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jesté m’a fait jeter dans un noir cachot, et que, lorsqu’on m’en a tiré, j’attendais la mort. » L’empereur retomba dans une profonde rêverie. Il parut surpris et troublé. Enfin, rejetant sur les fumées de l’ivresse une violence dont il ne conservait aucun souvenir, il fit ôter les chaînes au mandarin, et le renvoya libre. Depuis cette aventure, on remarqua qu’il évitait les excès du vin.

Le même missionnaire, pour peindre l’avarice de Khang-hi, racontait encore à La Barbinais que, se promenant il y avait quelques années, dans un parc de la ville de Nankin, il avait appelé un mandarin de sa suite, qui passait pour le plus riche particulier de l’empire, et qu’il lui avait ordonné de prendre la bride d’un âne sur lequel il monta, et de le conduire autour du parc. Le mandarin obéit et reçut un taël pour récompense. L’empereur voulut à son tour lui donner le même amusement ; en vain le mandarin s’en excusa. IL fallut souffrir que son maître lui rendit l’office de palefrenier. Après cette bizarre promenade, « Combien de fois, lui dit l’empereur, suis-je plus grand et plus puissant que toi ? » Le mandarin, se prosternant à ses pieds, lui répondit que la comparaison était impossible. « Eh bien, répliqua Khang-hi, je veux la faire moi-même. Je suis vingt mille fois plus grand que toi. Ainsi tu paieras ma peine à proportion du prix que j’ai cru devoir mettre à la tienne. » Le mandarin paya vingt mille taëls, en se félici-