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vent dans la nécessité de retourner à Manille avec perte d’une partie de l’équipage. Ceux qui font la traversée la plus heureuse ne laissent pas d’essuyer des maux qui ne peuvent être bien représentés. Outre la faim ou la soif, dont on n’est jamais sûr de pouvoir se garantir, le vaisseau est rempli de petits insectes qui s’engendrent dans le biscuit, et dont le mouvement est si vif, que, lorsqu’ils ont commencé à paraître, non-seulement ils se répandent aussitôt dans les cabines, les lits ou les plats où l’on mange, mais ils s’attachent insensiblement à la chair. D’autres vermines de toutes couleurs sucent le sang. Les mouches tombent en monceaux sur les tables et dans les alimens, où nagent déjà quantité de petits vers de différentes espèces. »

Gemelli éprouva une partie de ces misères. Le capitaine avec lequel il avait fait ses conditions le traita d’abord avec assez d’abondance et de propreté ; mais lorsqu’on fut en pleine mer, il le fit jeûner à l’arménienne, jusqu’à lui retrancher le vin, l’huile et le vinaigre. Le poisson n’était assaisonné qu’avec de l’eau et du sel. Les jours gras on lui servait des tranches de vache ou de buffle séchées au soleil et si dures, qu’il était impossible de les mâcher sans les avoir long-temps battues avec une pièce de bois, dont elles sont peu différentes, ni les digérer sans ressentir tous les effets d’une violente purgation. On apprêtait à midi un de ces morceaux de viande en le faisant bouillir