à une heure après midi nous ancrâmes. Je ne savais encore si j’étais à terre ou sur mer, lorsque je sentis dans mes bras le frère Bech qui m’arrosa de ses larmes. La joie fut si vive, qu’il se trouva subitement délivré d’un accès de fièvre qui venait de le prendre. »
Crantz interrompt ici le journal du pieux évêque pour faire une courte description du rude hiver qu’on avait éprouvé cette année au Groënland. Depuis février jusqu’à Pâques, le froid fut si violent, qu’aucun kaiak ne trouva d’eau pour naviguer. Un jeune Groënlandais, qui avait pu risquer le sien entre les glaces brisées, fut emporté par les vagues, et retrouvé trois mois après dans sa nacelle, à moitié rongé par les corbeaux et les renards. Personne ne sortit de sa cabane sans y rentrer avec les mains et le visage perclus de froid. Un ouragan accompagné d’éclairs fit craquer la maison et la chapelle de Neu-Herrnhut, comme un vaisseau dans le naufrage, et faillit emporter ou renverser tout cet édifice. Les missionnaires, hors d’état d’aller faire leurs visites dans les bourgades chrétiennes, reçurent tous les Groënlandais qui venaient chez eux par bandes chercher un asile contre le froid et la famine. Toutes les provisions de leur maison et des meilleures cabanes furent distribuées entre les indigens les plus affamés, sans songer au lendemain. Le mois de mars ouvrit quelque passage à travers les glaces ; on se dispersa dans les baies, sur la côte, et parmi les îles,