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courts. Elle refusa de manger de la viande cuite. On lui offrit quelques oiseaux qui se trouvaient dans la chaloupe, et qu’elle reçut avidement ; son premier soin fut d’en arracher les plus grandes plumes ; ensuite elle les ouvrit avec des coquilles de moules, en les coupant derrière l’aile droite, au-dessus de l’estomac et entre les deux cuisses : elle les vida, c’est-à-dire qu’elle jeta le fiel, les entrailles et le cœur ; mais ayant passé le foie sur le feu, elle le mangea, si cru, que le sang en coulait de ses lèvres. Pour vider le gésier, elle commença par le retourner ; et, le tenant d’un côté entre les dents, et de l’autre avec la main gauche, elle le nettoya deux ou trois fois de la main droite, et elle le mangea sans autre apprêt que de l’avoir fait un peu chauffer. Les autres parties du corps, elle les déchira de ses dents avec tant d’avidité, que le sang en ruisselait sur son sein. Ses enfans mangèrent comme elle de cette chair crue. L’un, qui était une fille, paraissait âgé de quatre ans ; l’autre ne pouvait avoir plus de six mois, quoiqu’il eût déjà beaucoup de dents et qu’il marchât seul.

Leur manière de manger était accompagnée d’un air fort sérieux, sans que la mère fît jamais le moindre sourire, pendant que les matelots riaient aux éclats : après son repas, elle se mit sur ses talons, dans la posture ordinaire d’une guenon. Pour dormir, elle se plia comme en un monceau ; les genoux lui touchaient au menton, et son petit enfant, qu’elle