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cuirs de bœuf, qui couvraient la grande vergue. Ces cuirs, toujours exposés à l’eau, au soleil et aux vents, étaient si durs, qu’il fallait les faire tremper pendant quatre à cinq jours dans la mer pour les rendre un peu tendres ; ensuite nous les mettions sur de la braise pour les manger. Souvent même nous avons été réduits à nous nourrir de sciure de bois, et les souris même, si dégoûtantes pour l’homme, étaient devenues un mets si recherché, qu’on les payait jusqu’à un demi-ducat la pièce.

» Ce n’était pas là tout encore. Notre plus grand malheur était de nous voir attaqués d’une espèce de maladie par laquelle les gencives se gonflaient au point de surmonter les dents ; et ceux qui en étaient attaqués ne pouvaient prendre aucune nourriture. Dix-neuf hommes en moururent, et parmi eux le géant patagon et un Brésilien, que nous avions conduit avec nous. Outre les morts, nous avions vingt-cinq à trente matelots malades, qui souffraient des douleurs dans les bras, dans les jambes et dans quelques autres parties du corps ; mais ils en guérirent. Quant à moi, je ne puis trop remercier Dieu de ce que pendant tout ce temps, et au milieu de tant de malades, je n’ai pas éprouvé la moindre infirmité.

» Pendant cet espace de trois mois et vingt jours nous parcourûmes à peu près quatre mille lieues dans cette mer, que nous appelâmes Pacifique, parce que, durant tout le temps de notre traversée, nous n’essuyâmes pas la moin-